Blancheur immaculée semble draper l'être tout entier de Vesper, soie glaciale à l'éclat lunaire et énigmatique. Avant d'être une créature à crocs, elle était autrefois une créature ailée. Une fée. Mais ses ailes de libellule sont tombées depuis longtemps, ses traits se sont pâlis, ses canines se sont allongées. Sa beauté passée est devenue monstrueuse. Vesper n'est rien d'autre de plus désormais que le produit du poison de Samael, son créateur et seigneur vampirique. Le charme sauvage a laissé place à une grâce sévère, sa démarche autrefois dansante est devenue régalienne au fil des siècles passés aux côtés de ses pairs. Nul sourire vivant sur son visage figé, si ce n'est parfois le recoin d'une lèvre qui semble se redressé pour signifier sa moquerie, peut-être.

Sa longue chevelure dorée se part d'éclat lunaire et livide tandis que ses yeux sont sans doute la seule partie de son être qu'elle pu conserver de sa monstrueuse forme féerique. D'un bleu plein, ils semblent tout voir et être aveugles tout à la fois, renforçant la forte expression de malaise qui s'installe parfois lorsqu'on observer un cadavre un peu trop longtemps. Si Vesper fut un jour une créature du jour, elle ne le sera plus jamais. Élégante malgré son étrange apparence fantomatique, la vampire connait sur le bout de ses doigts fins les us et coutumes de chaque nation, de chaque royaume, de chaque race. Sa mémoire semble conserver le moindre détail, ses yeux monstrueux s'attardent longuement sur ce qui vous aurait sans doute échappé.

Vesper n'oublie pas, et mieux encore, Vesper sait réfléchir. Devenue maîtresse dans l'art de déjouer et ficeler des complots, elle est la cheffe d'orchestre aux longues pattes et aux multiples regards patientant sur sa fine toile. Elle en ressent chaque vibration, et il suffit parfois d'une ondulation pour piéger une proie, une menace ou un danger imminent. Son réseau est semblable à sa toile : de multiples regards grouillants au quatre coin de la Terre Éternelle. Elle sait attendre.

Elle a toute l'éternité devant elle.

Une légende populaire raconte que les chats auraient neuf vies. Nul ne sait vraiment d'où elle provient, si c'est un adage qui vient de l'extérieur ou si en effet, quelques sorciers peu scrupuleux auraient fait des tests dans ce sens. Toujours est-il que Vesper n'a jamais été un chat, et que sa seconde vie s'éteindra pour de bon si elle la perd. Du moins, elle l'espère.

Vesper est née il y a de cela bien des années sur la Terre de l'Est, brodée de forêts et de rivières mystiques. C'était une créature des songes, faite de délicatesse et d'illusions. A cette époque, la vie était plus rustique, plus authentique -à moins que ce ne soit ses souvenirs qui aient pris une vision plus fantasmée de ce qu'elle était alors réellement. Elle se souvient de la chaleur bienveillante du soleil contre sa peau, du sourire protecteur de leur Reine d'alors, de sa loyauté aveugle et de sa dévotion sans limite.

Les guerres étaient à cette époque bien plus courantes que désormais. Les tensions restent, les procédés changent. La haine, quant à elle, ne meurt jamais. Un conflit faisait rage. Dévastateur, monstrueux. Les fées n'étaient pas les moins cruelles et Vesper n'était pas la moins cruelle des fées. Mais Vesper, comme tous les êtres sur Terre Éternelle ou ailleurs, était terrorisée à l'idée de mourir. L'immortalité, finalement, ne fait qu'amplifier la crainte des autres dangers que ceux de la longévité. Sans doute est-ce ce qui, ultimement, la poussa à commettre l'irréparable.

A fuir le champ de bataille, tournant le dos à ses compagnes. Vesper, qui avait alors le don d'observer les souvenirs, avait senti bien trop de vie s'éteindre sur les terres gorgées de leur sang. L'idée du sien se mêlant à celui des autres l'avait tétanisé. Et finalement, alors qu'on avait le plus besoin d'elle, elle disparu. Terre Éternelle n'est cependant pas sans justice, et bien que les fées ne réussirent pas à la retrouver, elle tombant dans une embuscade des vampires, qui firent d'elle leur prisonnière.

La suite, vous la connaissez.

Vesper fut amenée devant le Haut-Seigneur Samael, désireux d'obtenir un avantage stratégique sur ses mystérieuses voisines ailées. La déserteuse ne prononça mot. Il n'avait pas besoin qu'elle le fasse. Il disséqua son esprit avec la maîtrise d'un chirurgien, traquant ses peurs, sa culpabilité, ses remords. Il proposa la seule chose que souhaitait Vesper : une seconde chance. Et Vesper accepta. Si Samael gagna ce jour là une précieuse alliée, il n'obtient jamais d'elle quelconques informations sur les terres des fées.

Le temps passa, et la bénédiction de Samael prit rapidement des tournures de malédiction. Sa beauté se figea, perdant son éclat solaire. Sa chevelure d'or se ternie, se parant au couleur de la lune. Son regard océan se transforma en abîme. Et finalement, finalement, ses précieuses ailes finirent par tomber, elles aussi. Ce jour là, Vesper prit réellement conscience des conséquences de son choix. Ce fut la dernière fois qu'elle pleura sur son triste sort.

Nul n'arrête la course des âges, et Vesper, figée dans sa nouvelle immortalité, les traversa aux côtés des Haut-Seigneurs vampiriques. Sa vision pour la stratégie et son nouveau pouvoir lui permettant d'observer les possibilités futures en fit une recrue très précieuse, tant et si bien qu'elle finie par se hisser à la position de bras-droit de Samael, son tout premier seigneur. Samael, cependant, était sans doute loin de se douter qu'elle travaillait en réalité dans son dos, épaulant son frère Viktor dans ses sombres ruminations, le poussant, qui sait, à faire une erreur fatale.

Les procédés changent, les tensions restent.
Mais la haine, elle, ne meurt jamais.