Dans ma tête, ça ne s’arrête jamais.

Maman disait qu’elle avait engendré un monstre en parlant de moi, mais à mes yeux le vrai monstre ça a toujours été elle. Le bourreau a la même voix qu’elle de toute façon. Cette foutue voix qui me déteste, encore et encore, toujours. Qui tout le temps hurle à l’intérieur de ma tête. Elle me rabâche sans cesse, sans cesse, à quel point je ne suis qu’une moins que rien. Même le traitement soi-disant bon pour moi, ne la fait pas taire. De toute façon ces cachets ne sont que foutaises. Je ne suis pas malade. Ces voix ne sont pas des hallucinations, je le sais, elles existent. Elles se battent à l’intérieur de ma tête, me filant des migraines que je n’arrive que rarement à faire passer. Elles sont là. Vives et imperturbables.

Le Bourreau : Une voix féminine, égale à la voix de la mère d’Aeriel, apparue à la mort de sa mère. C’est la plus virulente, cruelle, insultante, elle fait bien sentir à Aeriel qu’elle n’est jamais assez bien. N’hésite pas à pointer ses faiblesses, ses erreurs, à la rabaisser. Elle est la voix la plus présente, celle qu’Aeriel entends le plus, et une des rares qui s’adresse directement à elle. Le Bourreau considère Aeriel à elle, que son âme et son corps lui appartiennent et qu’elle doit faire ce qu’elle lui dira de faire un point c’est tout.

Mais le bourreau c’est pas la première voix, la première entité à être venue posséder mon âme. D’abord il y a lui. J’étais encore une gamine quand il est venu, quand il a commencé à envahir ma tête, à me protéger. Il a toujours pris soin de moi, toujours à me guider, me dire que ça va aller, que ce ne sont que des menteurs, tous. Que je suis une gentille fille. Il a été la première personne à m’aimer. Le bourreau l’empêche parfois de me parler, parce que pour elle, il me rend faible.

Le Protecteur : Une voix masculine, apparue en premier dans la tête d’Aeriel, alors qu’elle n’était qu’une petite fille battue. C’est une voix qui se veut bienveillante, protectrice, bien que malsaine, chose que Aeriel ne perçoit pas. Il a tendance à pousser sa paranoïa, et à l’isoler pour la protéger comme il le lui répète. Il n’a aucune chance face au bourreau qui peut le faire taire, son champ d’action en vient à être réduit si le bourreau le décide.

Mais il n’y a pas qu’eux deux. Ce serait tellement plus simple si je n’entendais qu’eux. Il y a aussi le Jugement, le Secret, le Devin et finalement le Destructeur. Ils n’ont pas la facilité des deux autres à communiquer avec moi, soit parce que le bourreau ne veut pas, soit parce qu’ils n’en ont tout simplement pas envie. Ou juste parce qu’ils m’en veulent de prendre les cachets.

Et au-delà de tout cela, il y a toi. Aeriel. L’âme écorchée qui les fait vivre, les fait danser à l’intérieur de ta tête abîmée. T’as tout de l’allure de la fille forte, fière, manipulatrice pour ne pas citer vicieuse. Ce qui n’est pas entièrement faux. Tu ne laisses pas les gens voir au-delà de la carapace que tu as construite à travers les années. Un bouclier d’impulsivité, d’émotions à fleurs de peau, de regard hautain, et de remarque aussi piquante que sournoise.

T’as jamais hésité à taper en première, peu importe ce qu’il y a en face. Tête brulée, tu n’es jamais la dernière quand il s’agit de participer aux plans les plus sombres où les plus foireux, parce que tu veux appartenir à quelque chose. A quelqu’un. Compter juste pour une fois. Tu serais prête à n’importe quoi pour ça. Pour qu’on t’accepte telle que tu es, sans te traiter de folle ou de menteuse.

T’es pas une peureuse en apparence Aeriel, tu donnes toujours l’impression que rien ne peut t’atteindre, que le danger n’existe pas à tes yeux. Que les limites ne sont qu’une ligne trouble dans ton existence, peut-être parce qu’elles ont déjà été dépassées depuis longtemps. Explosées, d’un revers de mains des années auparavant. Tu n’as rien de normal Aeriel, tu n’es pas stable. Mais cela ne t’empêche pas d’avoir tes bons côtés.

T’es loyale envers ceux qui le méritent, douce, aimante, protectrice, un soutien indéfectible presque extrême. T’es le genre à foncer pour ce que tu penses juste. Juste selon ton propre regard. La dimension de bien et de mal étant souvent assez partielle chez Aeriel.


Le Jugement : Une voix féminine, qui ne s’adresse jamais à Aeriel directement, elle parle avec le bourreau, désignant Aeriel par « elle » alors qu’elle sait pertinemment qu’elle peut l’entendre, jugeant chaque décision, chaque mot, chaque choix quand elle est présente. Elle est du genre direct, bien que ses paroles portent une certaine élégance. Elle a une haine profonde pour la mère d’Aeriel, qu’elle nomme la « Trainée ».

Le Secret : C’est une petite voix enfantine, que les autres voix n’entendent pas. Elle parle peu et a fait promettre à Aeriel de ne pas parler d’elle aux autres voix, que ce serait leur petit secret. Quand elle vient c’est surtout pour proposer à Aeriel de jouer, si des fois les jeux sont innocents, certains le sont bien moins.

Le Devin : Voix masculine qui n’apparait que dans les moments les plus improbables dans la tête d’Aeriel. La jeune femme ne sait pas elle-même ce qui déclenche ses apparitions, mais toutes les autres voix deviennent silencieuses quand il se met à parler. Ses mots n’ont souvent pas de sens, plus comme des énigmes ou dans le genre de littérature des écrits des anciennes légendes. Aeriel voit souvent cela comme des prédictions dont elle doit trouver la traduction.

Le Destructeur : Il ne parle pas, hormis par des grondements sourds, apparu en même temps que l’adolescence d’Aeriel, il parvient contrairement aux autres voix à prendre le contrôle d’Aeriel, elle ne s’en souvient jamais, ce n’est depuis son adolescent arrivé que deux fois. Le jour du meurtre sanglant de sa mère. Et un soir vers ses dix-huit ans. Aeriel a très peur de lui.

« Espèce de sale gamine, c’est encore ta faute, c’est toujours ta faute. »

L’alcool. D’aussi loin que je me souvienne, d’aussi loin que mes souvenirs aillent, ma mère a toujours été imbibée d’alcool. Toujours une bouteille à moitié vide à la main, poivrote sans grande intelligence de mon simple avis. Longtemps j’ai espéré vainement qu’elle m’aime. Mais ce n’est jamais arrivé. Ma mère n’a toujours su qu’hurler et laisser des bleus sur ma peau claire. Elle avait toujours une bonne raison pour me punir, je n’avais pas répondu assez vite, la météo avait menti, son nouveau mec la larguait, peu importait. C’était toujours ma faute.

Je ne sais pas ce qui c’est mal passé aujourd’hui. Mais une fois de plus elle m’en veut. Un soupir s’échappe de mes lèvres alors que je descends à pas feutrés en bas, la trouvant au milieu du salon fulminante, mais surtout alcoolisée. Encore. Sa main attrape mes cheveux avec véhémence, me ramenant violemment vers le sol.

« Tu m’as maudite c’est ça, tu m’as maudite. T’es qu’un monstre, j’aurais du te tuer quand t’étais encore dans mon ventre ! »

Toujours le même refrain. Alors je déconnecte. Je la laisse continuer sans réagir, me laissant bercer par la seule personne qui compte vraiment.

─ Ce n’est rien, princesse. Tu n’as rien à voir avec ça, rien n’est de ta faute. Jamais. Ferme les yeux, ce sera bientôt fini.─ P.

Je sens ma tête qui heurte lourdement, la table basse, la douleur me parcourt telle une décharge électrique avant de me faire perdre connaissance. Et je suis sure d’avoir entendu un long grondement sourd.

─ Tu vas rouvrir les yeux oui ? Allez ouvre les. Espèce d’empotée, tu crois vraiment c’est le moment de faire un somme ? Regarde-toi, assise là, t’as tout déguelassée, alors bouge-toi ─ B.

J’entrouvre les yeux alors qu’en plus de la douleur la voix de ma mère me martèle le crâne, timbre désagréable que j’ai plus l’impression d’entendre dans ma tête que dans mes oreilles. Et la première chose qui vient à mon regard, c’est du rouge. Sur mes mains, sur le sol, partout. Juste du rouge.

« Tu vivras ici désormais Aeriel. On t’apprendra à utiliser tes pouvoirs à bon escient, et à trouver ta voie. Les enquêteurs finiront par trouver le meurtrier de ta mère. Il ne faut pas t’inquiéter, tu es chez toi. »

Meredith Highmore. C’est elle qui est venu me récupérer quand l’hôpital m’a jugé apte à vivre normalement, du moins tant que je prenais des cachets. Ils cherchent juste à me droguer, je ne suis surement qu’un de ces cobayes bien pratiques dont les parents ne risquent pas de s’insurger. Parce qu’ils sont morts. Autant l’un que l’autre.

─ Ce n’est pas comme si elle pouvait se douter que la meurtrière de ta mère c’est toi, une ratée comme toi. Sans l’aide du Destructeur, t’aurais rien fait pauvre débile  ─ B.

─ Ne prononce pas son nom. Ne l’écoute pas Aeriel, tu es très bien, pas une ratée, ce ne sont des mensonges, tu n’as rien fait de mal ─ P.

─ De toute façon, elle finira comme sa mère, une trainée ne peut qu’engendrer une trainée. Une trainée droguée. Encore bien plus dégradant que l’alcool. ─ J.

Depuis le meurtre de ma mère, les voix ne font que se multiplier dans ma tête, les médecins disent que j’invente, que je suis rien qu’une menteuse. Mais elles sont là, toujours là à me marteler le crâne. Comme aujourd’hui. Comment peuvent-ils oser dire qu’elles n’existent pas, qu’ils n’existent pas.

─ Je t’avais dit de ne pas en parler sombre idiote. Personne ne croira jamais que l’on existe, que veux-tu que la plèbe puisse comprendre de ce qui les dépasse ? Tu n’as rien d’une personne charismatique, pour eux tu n’es qu’une sale gamine qui cherche à se rendre intéressante. ─ B

Je le sais. Mais ce n’est tout de même pas ce que je suis.

─ Tue les alors. Tous. Tout ceux qui te traitent de menteuse. Montre moi. Danse dans le sang pour moi, ma jolie marionnette ─ B.

Je ne suis pas ta marionnette Bourreau. Jamais. A aucun prix.

Je l’entends entonner un rire alors que ma migraine me fait vaciller, trembler, perdre brutalement pied, me laissant au sol. Le sol. Là où je finis toujours par choir.


Une flamme qui apparaît dans la paume de main, une part de moi aurait adorée être une élémentaliste du feu, rien que pour pouvoir brûler tout ce qu’il me plairait de brûler. Mais mes capacités m’ont mené ailleurs. Plus sombre. Magie Noire. Il n’empêche qu’aujourd’hui, ce n’est pas pour ça que je suis pour une énième fois en colle. J’ai brûlé les cheveux d’une de ces pimbêches qui me prennent toujours la tête. Elle a voulu me manquer de respect. Elle l’a payé. Un sourire amusé revenant se poser sur mes lèvres à y penser. Je n’imaginais pas que les cheveux brûlaient aussi vite.

Mon tuteur et professeur devient fou de ne pouvoir me tenir. Personne ne le peut de toute façon. Je sais les rumeurs qui court sur mon compte, ce qu’on raconte. Mais ce ne sont tous que des menteurs, tous autant qu’ils sont. Dans leurs moindres reflets. Ça donnait toujours une raison complémentaire aux filles pour me détester. Pour devenir de sale bitch vicieuse en planquant mes affaires, ou les abîmant. Mais j’en ai rien à foutre de tout ça. Mais pas question de les laisser s’en tirer sans m’amuser un peu. Elles sont chanceuses j’aurais pu les prendre en sacrifice pour ramener un mort à la vie.

C’est là qu’ils sont entrés. Mon regard glissant doucement vers eux, je les avais déjà vu, ces deux-là. Difficile de ne pas les connaitre en même temps, ils attiraient la totalité des filles et des hommes de l’établissement, en plus de multiplier les conneries les unes après les autres.

─ Voilà des gens avec une classe que tu n’aurais jamais Aeriel, si tu avais ne serait-ce qu’un pourcent de leur charisme, tu n’imagine pas toutes les choses qu’il nous serait possible de faire. Mais tu n’as de tout cela. Pas même une goutte. ─ B.

Nos regards se croisent alors que je n’écoute pas le Bourreau, que je ne la laisse pas emplir mes pensées. Je ne le savais pas encore mais ces deux-là, serait mon salut, deviendrait mes amours, les seuls et uniques amours, de ce que j’appelais parfois ma terrible existence. Je n’oublierai jamais les premiers mots d’Aphrios à mon intention, ni le regard de Varuna à la mention de Magie noire. Eux. Si inaccessible. M’avaient porté plus d’intérêt en une seconde que n’importe qui en plus de dix ans.

Je ne sais pas ce que le Destin a voulu me dire en les laissant entrer ainsi dans ma vie, peut-être un cadeau pour toutes ces années sans la moindre saveur, je n’en ai aucune idée. A moins que je ne sois que le poison venu bruler par les deux bouts le fils de leur vie.


Aphrios est l’interdit, l’illégalité, le danger. Il a toujours mille et une question sur les voix vivant dans ma tête, sur leurs nuances. Il a toujours cru en moi, en ce que je disais, il n’a jamais eu peur, cherchant toujours à me venir en aide. A me montrer cette autre facette du monde. Aphrios est un rêveur, fascinant et inarrêtable à la fois.

A coté Varuna est notre leader. La voix qui nous ramène toujours à la réalité telle qu’elle doit être, charismatique et inspirant. Je sais qu’il me protège, à sa façon, autant qu’il le peut, et à apprendre aussi, sa spécialité, mais aussi a être aimé. Lui et moi, on se ressemble sur ça. Sur cette quête d’amour.

Je les aime. Tous les deux, autant l’un que l’autre, d’un amour immuable et indivisible. Je ne peux choisir entre eux, jamais. Comme je ne peux aimer qui ce soit d’autre.


Je me souviens de l’anxiété qui m’a habité en même temps que l’excitation lors de cette soirée. C’était encore une idée folle et délectable d’Aphrios, il voulait voler. Et il avait convié son frère pour l’occasion, Hazel, toujours partant pour les plans les plus dangereux maintenant que tu y repensais. Cela faisait un moment que je ne m’étais pas amusé à faire usage de Magie Noire. Et je n’attendais que ça. Sans parler du fait que les voix avaient même apprécié le projet. Tapie dans l’ombre, le Bourreau observait, un sourire que je ne pouvais que deviner aux lèvres. Et moi comme une idiote, j’étais heureuse de sentir que je n’étais pas juste un déchet. Juste pour aujourd’hui.

Et bien évidemment. Tout est allé de travers.

Il y a même une partie de cette nuit dont je ne me souviens pas, tout ce que je sais qu’à la fin, l’âme d’Hazel a fini dans le corbeau mort précédemment. Et que depuis il est tout simplement coincé dedans. Et autant dire que quand Meredith l’a su…Rien n’aurait pu plus lui déplaire. Mais je crois que dans tout ça, même s’il ne l’avouera pas, c’est Varuna qui a eut le plus de peine.

Au lieu de se plier aux volontés de Meredith on est parti. Loin. Le plus loin possible de l’école, mais pas tant que ça. Depuis, on est juste nous, la triple menace. Vendeurs de drogues à nos heures les plus compliquées, ou simplement mercenaires, mais surtout vagabonds. Je ne peux pas dire que cette vie ne me plait pas, j’aime cette vie, plus que n’importe laquelle, parce qu’ils sont avec moi. Et qu’on est toujours ensemble.