Salutaire est le conteur. Providentielle est la démone qui rayonne de par son exemplarité. Délétère est le serpent visqueux, vicieux, qui s’englue dans les esprits. Maudit, rejeté, et pourtant essentiel lorsque l’on vise les sommets. Un équilibre fragile, périssable, qui l’a souvent fait avancer en funambule sur les cordes de son existence. Mais le temps ancre des habitudes, des repères perpétuels et devenus banals.

Que reste-t-il de l’innocence enfantine, des éclats de rires, de l’effroi des créatures imaginaires de la nuit ? Il faut toujours avancer, ne pas s’arrêter, sous peine de briser une eurythmie éthérée digne des plus divines chimères légendaires. Les rêves féeriques du préambule de la vie disparaissent, effacés, repoussés de la main comme des indésirables, forcés de laisser leur place à des désirs plus matures, des ambitions enveloppées de gloire, de prestige et de laurier. L’hésitation est récusée. Museler le reître est semblable à une exécration.

Posture droite, dominante par l’éclat des démoniaques ornements d’or, glissants serpentins qui se faufilent au cœur d’une tresse de neige, indomptables fils qui ne sont pas sans être un rappel à ses iris hélianthes, brillants de fierté, scintillants de passion, ou reluisant de cruauté, nacré de gel. S’ils sont les fenêtres de l’âme, ils sont aussi une porte ouverte sur une complexité bien mal dissimulée, stratagème irréfléchi déposant un voile occulte sur l’angoisse, la jalousie, et une vulnérabilité trop rarement assumée.

Illusions empoisonnées, et pourtant si captivantes, si désirables. Les mots peuvent se draper de velours, masque instillant l’idée sensuelle d’une sarabande. Ils peuvent aussi être changeants, laissant place à des palabres plus querelleuses, agressives voir acerbes. Imposant une tension, forçant parfois à reculer dans ses retranchements, ses provocantes lippes sombres esquissent un sourire joueur alors qu’elle vous analyse, vous examine, disséqué sous l'œil perspicace d’un être connaisseur des secrets, emplis de mystères au détour d’une énigme prenante et obsédante.

Silences témoins des pensées ressassées, retournées, d’idées tumultueuses, ils sont aussi à l’image d’une loyauté parfois insoupçonnée. Digne citoyenne des Terres du Nord. Des cornes pour empaler, offensives, elles sont aussi l’image de la protection qu’elle déploie lorsqu’elle le juge nécessaire. Bouclier, égide solaire renfermant une humanité contrastant avec les ténèbres qui colorent son derme.

Cycle ininterrompu. Contraste infini, antinomie.
Salutaire.
Providentielle.
Délétère.

secrète, dominatrice, résistante, intuitive, affirmée, charismatique, magnétique, volontaire, audacieuse, perspicace, passionnée, indépendante, généreuse, loyale, persévérante, indomptable, possessive, rusée, obstinée, ambitieuse, instinctive, tenace, sensuelle, fière, intense, esprit de compétition, agressive, destructrice, angoissée, violente, égocentrique, complexe,  cruelle, jalouse, vulnérable, dissimulatrice

forme démoniaque (approximative) : here
avec ces couleurs : here

La voix de sa génitrice résonnait en boucle dans son esprit, un chant doux, prévenant, dans lequel on pouvait déceler une note d’autorité qui ne lui avait pas échappé mais qu’elle avait sciemment ignoré de nombreuses fois. La vie de nomade était ancrée dans ses gènes, un appel qui ne cessait de venir la titiller, d’insinuer des envies de libertés dans ses péripéties oniriques enfantines. La pauvre mère se faisait régulièrement un sang d’encre alors que sa petite démone s’échappait loin de son étale de vêtements, courant après l’aventure irréelle, s’imaginant en grand paladin du roi, ou bien en flibustier écumant les étendues d’eau salée entourant leur monde caché à la réputation éternel. Des chimères à l’apparence inoffensive, nourries bien malgré elle par les mythes et légendes qui voyageaient avec l’alizé, un souffle, zéphyr insignifiant devenant tornade, tourment d’une liberté mystique tant convoitée.

Comment pouvait-on empêcher un bambin de rêver, ne pas se réjouir de sa créativité, son inventivité naïve ?

Astres changeants, rayons solaires et chaleureux laissant doucement leur place à la lumière blanche et froide de la ronde ivoirine, appelant la jeune aventurière imaginaire au calme, à l’attente, sous le regard inquiet mais empli d’amour de sa mère. Comme chaque soir, elle s’installait sur l’un des bancs installés devant leur demeure éphémère, souvent jusqu’à sombrer dans le sommeil, se laissant cueillir innocemment par les bras de Morphée, des rêves apportés par le sable encore chaud sous ses pieds. Régulièrement, la petite cornue était tirée de l’attente par l’étreinte maternelle réconfortante, palabres débordantes d’amour et de fierté, et malheureusement ce sourire désolé, peiné de l’informer que ce ne serait pas pour cette fois, qu’il faudrait patienter, encore, et revenir le lendemain. Peut-être serait-il là la prochaine nuit. La grande blanche la berçait délicatement de ses rayons pâles, reflets de sa crinière toujours plus longue, comme un signe que son attente n’était pas vaine, que sa patience serait comme toujours récompensée. Rarement, elle le voyait arriver, silhouette sombre se détachant du décor, immergeant des ténèbres de la nuit sous l'œil protecteur de la Lune, l’étoffe de sa cape voletant à chaque pas silencieux se fondant dans l’obscurité, son regard d’opale, habituellement brillant, masqué sous un capuchon dissimulateur. Parfois, elle était tirée de ses rêveries par un petit paquet déposé sur ses genoux, sourire bienveillant et heureux l’accueillant, promesse d’une nuit bien trop courte, et de journées au calme sous le signe de contes animés, de récits ensorceleurs, accompagnés de la présence et de la chaleur paternelles.

Chuchotements, murmures, tout n’était que susurrements, un bourdonnement incessant d’une clameur réactionnaire, réfractaire. Le chant habituellement si chaleureux des voix de ses parents s’était changé, métamorphosé par le monstre sombre de la discorde. Jeune démone encore trop pure pour se faire entendre, mais assez mature pour comprendre, pour assimiler les mots qui dansait dans l’air, elle était simplement restée assise dans les ténèbres opaques, voile l’occultant à la vue de sa famille en plein conflit. Ce déchirement se présentait comme un vieil ami, annonçant dans son sillage le départ tant redouté du conteur qu’était son père. Elle n’avait pas besoin d’entendre, elle s’y attendait, le sentait depuis un moment déjà. Le lendemain, son père ne partirait pas seul. Quittant son abri d’obscurité, elle s’avança entre ses parents, la posture droite, fière, masquant au mieux les larmes qui se formaient aux coins de ses yeux, puis noua l’un des fils d’or qui ornait habituellement sa crinière immaculée au cou de sa mère, témoin de sa reconnaissance, de son affection, comme une promesse qu’elle serait toujours présente, et que tout irait pour le mieux. L’or vint aussi se poser sur le poignet paternel, accompagné d’un regard scintillant ou se mélangeait la peur, la provocation et l’assurance qu’elle rassemblait. Sans un mot, elle s’en retourna dans les limbes obscurs qu’offrait la nuit, et alla se réfugier dans le lit de son petit frère, son petit protégé, son trésor, pour le bercer une dernière fois de ses aventures chimériques, accompagnés de légères illusions opalescentes aux reflets solaires.

LONELY SHADOWS FOLLOWING ME
LONELY GHOSTS COME A-CALLING
LONELY VOICES TALKING TO ME
NOW I’M GONE, NOW I’M GONE, NOW I’M GONE
L’ambiance était chaleureuse. Les rires éclataient comme une nuée de bulles de savons dans l'atmosphère détendue de cette soirée de retrouvailles familiales. Les deux illusionnistes de la famille étaient en retard, mais c’était presque devenu habituel, et on ne les attendait pas avant le coucher du soleil. Ils étaient, comme toujours, accueillis par les plus jeunes de la famille, mimiquant leurs aînés qu’ils avaient vus faire de nombreuses fois sans jamais oser les accompagner, de peur que la patience et le calme qui les entouraient s’évaporent. Tel un rituel instauré involontairement, une pratique ancrée dans la famille bien avant son existence, chacun des enfants reçu un présent marquant le retour tant espéré.

Petits bambins démoniaques bercés par les récits des conteurs, ils dormaient d’un sommeil empli de rêves merveilleux, d’aventures, d’amour, et de batailles épiques. L'effervescence de la réunion passée, la mère de famille triturait le fin fil scintillant qui entourait son cou depuis des années, malmenés un grand nombre de fois par ses doigts agités de nervosité. Sa petite cornue n’était plus une enfant, et elle savait maintenant que sa plus grande allait quitter le nid de protection et d’amour maternel pour de bon. On pouvait voir briller de la fierté dans ses yeux alors qu’elle couvait du regard son mari et sa fille, en pleine discussion. Cette dernière partirait à l’aube, en compagnie de son géniteur, afin de commencer son pèlerinage, passage obligatoire de sa formation de conteur. Elle devait voir le monde de ses yeux dorés, recueillir les récits, et apprendre à le conter afin que l’histoire ne se dissipe pas des mémoires capricieuses des habitants de l’île. Au fond, la mère était rassurée de savoir qu’elle ne ferait pas le début du chemin en solitaire, même si elle savait que ça ne durerait pas. La jeune femme avait un tempérament affirmé, flamboyant, dévorant souvent l’autorité sous couvert d’une armure piquante de provocations qui lui permettait de sonder ce qui l’entourait. Déjà on entendait les bravades verbales qui fusaient, alors que le patriarche, plus calme, se contentait de sourire en encaissant, à la fois moqueur et heureux de voir sa petite armée pour ce qui l’attendait.

Des plaines désertiques du nord, la jeune conteuse se retrouva rapidement au centre des terres, bien différentes de ce à quoi elle avait été habitué. L’horizon n’était plus linéaire, et elle se rendit compte combien il était difficile de transmettre ce décor si opposé à celui qui avait bercé son enfance, malgré son don. Rien n’était plus fidèle que de le voir de ses propres yeux. Ici, elle se mélangea bien malgré elle à la population mixte qui vivait entre grattes-ciel et modernité. Les mots de son père lui revinrent, conseils bien avisés qu’elle avait d’abord pris pour une infantilisation déplacée. « Perce le voile du monde. Les murmures du vent sont parfois plus bavards que les images qui s’offrent à toi. » Alors elle se fit discrète, se fondant dans ce paysage si particulier à ses yeux, se fit spectatrice de tout ce qui s’imposait à elle, et en profita pour confirmer les bases apprises sur chaque race peuplant les terres éternelles, admirer les bâtisses du conseil ou flâner dans les couloirs de l’université.

La forêt si dense des lycans sembla s’enrouler autour d’elle, bras d’humidité se resserrant autour de sa cage thoracique. Aveïr, immense, pointant vers les cieux sous un voile blanc de pureté, l’émerveilla par sa grandeur et son caractère brut. La baie, quant à elle, se ferma, aussi secrète que pouvait l’être la boite de pandore, alors elle recueillit la brise marine, seule compagnie sur cette longue plage claire. Les terres ensorcelées firent tout l’inverse, alors que tout se mélangeaient dans une harmonie inexplicable mais si plaisante, envoutante. Féérique, et pourtant hostile, fantômes du passé pensant toujours sur le présent, ils n’empêchèrent pourtant pas la jeune illusionniste d’admirer de loin les tours éclatantes regorgeant de vies pourtant ignorées de beaucoup. Rivière aux fleurs serpentant au milieu d’un territoire vierge du mal évolutif, dont le chant de l’eau apaisait les esprits et les cœurs. Capitole et ses forteresses s’ouvrirent avec réserves, cachant bien des choses aux yeux des autres races, mais restait habile pour détourner l’attention, faisant illusion.

Le sable familier et réconfortant réchauffa ses pieds, il était temps de rentrer. Et si tout se passait pour le mieux, ses aventures ne se termineraient pas ici, pas maintenant.

THOUSAND FACES STARING AT ME
THOUSAND TIMES I’VE FALLEN
THOUSAND VOICES DEAD AT MY FEET
NOW I’M GONE, NOW I’M GONE, NOW I’M GONE
Un second pèlerinage se profila, inattendu, déconcertant. La démone avait prouvé sa valeur au fil des années, plus connue sous la dénomination de conteuse d’or du fait de la couleur si particulière, solaire, de ses illusions ludiques, et après des années à voguer au gré des vents, c’était la première fois qu’elle était expressément demandée dans la ville du désert. Son père n’était pas qu’un simple conteur, et si cette nouvelle l’étonna sur le moment, jamais elle ne laissa quoi que ce soit transparaitre. Agent loyal, fidèle envers la couronne démoniaque, il pensait avoir fait son temps, et n’aspirait plus qu’à une vie calme auprès de sa famille trop longtemps délaissée. C’était au tour de la nouvelle génération de reprendre le flambeau, de déceler le vrai du faux, de dévoiler les secrets, de découvrir les cadavres de tout un chacun. Ayant l’aval d’Ashtäa, Reine du désert et Grande conteuse du royaume, le père indicateur et sa fille partirent à nouveau au travers des territoires de l’île cachée. L’apprentie découvrit le monde sous un nouveau jour, où une nouvelle nuit tant elle avait l’impression qu’un voile obscur s’était déposé, occulte, révélant les non-dits, les sourires mesquins sous le rouge, les mains violentes qui se faisait irréellement douces. Elle découvrit malgré elle que les mots n’étaient pas toujours une arme suffisante, et sous les directives d’un père strict, elle s’endurcit involontairement, oubliant parfois que l’erreur reste une qualité descendante de l’humanité. Cette année-là elle n’eut pas le cœur à fêter son anniversaire, préférant s’oublier dans les limbes de ses souvenirs enfantins, oniriques et mirifiques.

Une loyauté en rien entachée par les derniers évènements, la conteuse d’or voyage encore au travers des territoires, revenant régulièrement dans le désert si cher à son cœur. Elle regarde, écoute, raconte, sous couvert d’une légende, elle boit, récupère des informations. Car elle sait que sa reine à besoin d’elle, que ce monde n’est peut-être plus si éternel. Fhyr transperce le voile de ses yeux hélianthes, fouille les esprits, et embrume la raison au besoin. Elle a arrêté de compter le nombre d’anniversaires oubliés après le cinquantième, et elle ne saurait dire depuis quand le voile d’ombre du monde s’est enroulé autour de son corps et de son esprit.

La conteuse d’or commence à avoir du mal à se faire une place aux côtés de l’espionne démoniaque.