On pourrait se demander ce que je venais faire ici. Pas mal de chose ou pas. En fait, j’étais juste venu me balader pour me vider la tête. J’avais besoin, parfois, de sortir de mon petit coin pour aérer mon esprit. C’est vrai que la montagne des dragons me faisait me rappeler de ma douce Nyl qui m’avait quitté trop tôt, beaucoup trop tôt. Alors je marchais sans regarder ou j’allais vraiment. Je repensais au moment où j’étais avec elle, au moment où j’avais le privilège de poser ma main sur son visage. Je sentais encore parfois cette sensation sur ma main où j’effleurais son visage pour remettre une mèche de cheveux. C’était pendant ces moments-là où j’’avais un coup de blues comme on disait. Et je savais que j’avais besoin de me changer les idées et rien de tel qu’aller promener un peu dans les alentours.

Je pensais aussi à ma chère fille. Beaucoup disent qu’on l’a eu beaucoup trop tôt au vu de nos âges, mais je ne regrette en rien sa naissance. C’est vrai qu’on aurait du mal de croire que je suis son père, on avait que septante ans de différence, ce qui était court chez les dragons. Quand je vois des dragons millénaires, je reste toujours impressionné. Je me demandais si j’arriverais à supporter toutes ces visions que le monde pouvait offrir en un millénaire d’années. Déjà, je trouvais déjà impressionnant ce que j’avais pu voir en deux-cents cinquante ans. Mon regard se posait soudainement sur le paysage qui m’entourait et j’étais passé des montagnes des dragons à la bordure des lycans. Quel changement de décor, j’avais dû beaucoup marcher sans m’en rendre compte. Je devais penser à pas mal de chose pour avoir fait tant de chemins sans m’en rendre compte.

C’est vrai que quand je pensais à ma femme et ma fille, je pouvais en dire beaucoup tellement que je les aimais ces deux-là. Je m’étais aussi résigné à faire mon deuil et à tourner la page sans pour autant l’oublier, mais plutôt aller de l’avant. Il m’a quand même fallu cent quatre-vingts ans pour m’y résoudre. Quand je voyais notre fille aussi grande, je me devais d’être forte pour elle, même si elle s’en foutait un peu de moi maintenant. Je m’asseyais au sol en m’adossant à un arbre pour contempler le ciel où ce que je pouvais voir. Il faisait presque jour maintenant, j’avais marché toute la nuit et j’avais encore passé une nuit blanche parmi tant d’autre. Je ne savais pas trop quoi faire pour aller de l’avant, mais le temps m’aidera à y arriver que je me disais.

Dans les prémices de l'aube la pleine opale commence à s'effacer alors que lentement, la conscience réémerge du tumulte des instincts premiers. Un feulement, grognement alors que dans la luxuriante jungle la gueule s'extirpe de la chaire ensanglantée, un goût âcre dans la bouche alors que doucement l'humanité s’éveille après sa torpeur, prisonnier et béni de cet astre que les cycles régissent, opale majestueux trônant au cœur de la nuit.

Un grognement alors que ton âme retrouve son unité et que tu découvres la carcasse ensanglanté où ta gueule s'enfonçait il y'a quelques minutes à peine. Un grognement alors que du haut de ton perchoir tu bondis souplement, la truffe encore pleine du sang de ta proie que tu abandonnes là. La prise de conscience soudaine de là où tu trouves, décor luxuriant et sauvage alors que c'est la jungle qui s'impose autour de ton pelage noire, une profonde note de dépit qui retentit en ton âme alors que le tumulte t'as emporté bien trop loin cette nuit, bien trop loin du centre et de sa neutralité, bien trop prêt des lycans, un miracle même que tu n'en ai pas croisé ? Ou peut-être, tu ne sais pas, tu ne sais plus, mais tu dois t'en aller, maintenant alors que ces terres sont pour ton être la représentation d'un danger, tu n'as ni meute, ni maître, mais surtout tu n'es que moitié et te perdre en territoire lycan revient à tenter le diable. Un regard perçant qui transperce l'obscurité de l'aube naissante alors que tes pattes puissantes se mettent en mouvement pour te ramener dans les terres centrales, pour quitter cette jungle et retrouver l'apparat de l'humanité abandonné à dizaines et des dizaines de kilomètres de là où tu te trouvais. Un certain agacement, alors que conservant tes attributs félins tu progresses rapidement, jusqu'à cet odeur s'instillant dans tes narines alors que tes pattes se figent en plein mouvement.

Prédateur rôdant, alors que décontenancé par la particularité de cette chose que tu sens, ta curiosité l'emporte sur toute logique et réflexion, alors que guider par tes instincts sauvages tu avances tapis dans l'ombre, poitrail plaqué au sol alors que les billes jaunes de tes yeux découvrent la silhouette humanoïde se trouvant à une dizaine de mètres de toi. Une curiosité qui grandit alors que la certitude se confirme, il n'est pas lycan, mais son odeur à quelque chose de si différent. Une curiosité piqué, alors que majestueusement tu te redresses et émerge des fourrés, jaguar couleur de nuit à la gueule ensanglantée alors que tu le fixes sans sourciller, t'approchant avec douceur sans aucun signe d'agression alors que retentit le premier craquement, celui de tes os se brisant alors que le félin disparait dans une litanie de grondements puissants alors que le pelage s'efface pour la peau matte, que l'humain réapparait dans son plus simple apparat, nudité lissant danser les tatouages sur la peau basané, iris de topaze et bouche encore maculé du sang séché de ta proie alors que ta voix s'élève avec ce rauque si particulier. Une simple phrase que tu lâches comme si de rien n'était alors que tu gardes une distance respectable vous séparant, curieux mais pas inconscient alors que ton âme brille encore de l'éclat sauvage du jaguar. Une phrase abrupte malgré son intonation neutre alors que tu hoches la tête sur le côté, gros chat complétement intrigué par cet être au physique si particulier.

"T'es quoi exactement ?"

Toujours adossé contre un arbre à regarder le ciel, je restais pensif sur ce que j’allais faire. Le temps semblait passer lentement. Soudainement, un bruit vint à mes oreilles et mon regard se tournait vers la source. Je n’arrivais pas à croire ce que je voyais. Déjà, je ne savais même pas comment l’expliquer. Qui aurait cru que ce genre de scène pouvait vraiment se produire. En fait, je me demandais si je n'étais pas en train de rêver ou de somnoler. Je secouais ma tête énergiquement avant de revoir la scène. Et ben, non, je n’hallucinais pas ni ne rêvais. Ce que je voyais, c’était vraiment vrai.

Un homme nu, mais entièrement nu se trouvait devant moi. Il avait des tatouages quasi sur tout le corps et surtout, du sang sur son visage. Qui était-il ? C’est ce que je me disais dans ma tête. Je restais un moment assis à le regarder en silence malgré sa question. Déjà, même sa question me laissait perplexe. Ce que j’étais, ben ça ne se voyait pas ? Je me relevais pour ne pas rester assis et ne pas me taper un torticolis à relever la tête pour le regarder. J’avais un regard aussi surpris que sa tête qui se penchait sur le côté en me regardant comme le ferait un animal étonné. J’aurais jamais pensé me retrouver dans une telle situation en venant me perdre dans ce coin paumé.

« Je suis surpris que cela soit la première question qui vous vient à l’esprit quand vous rencontrez un inconnu. »

Disais-je en souriant. En prenant du recul, c’était une situation assez marrante, surtout que le mec semblait ne pas se soucier d’être nu comme un ver devant quelqu’un.Malgré tout, je me décidais de me présenter. Je n'avais aucune raison de ne pas le faire et au moins, ça éviterais les réponses à rallonge aussi.

« Je me présente, je suis Azem Mer’whis de l’ordre des dragons de l’ouest.
Puis-je savoir qui est l’homme nu et couvert de sang se trouvant devant moi ? »

Bon, il n’avait du sang que sur la bouche comme s’il avait dévoré quelque chose avant de venir, mais la question était : qu’avait-il mangé ? Bien que je ne craignais aucun ennemi, j’étais quand même un soupçon curieux de connaître la réponse. On était quand même au bord du territoire lycan aussi et le lendemain d’une pleine lune, qui fut le cas cette nuit, il n’était pas vraiment de bonne compagnie à ce que j’ai appris avec le temps.

D'un côté, en prenant un peu de recul, on pourrait en rire de cette situation. Peut-être que plus tard, cela deviendrait une anecdote à raconter autour d'une bonne bière. Enfin, il fallait d'abord qu'on arrive à me croire qu'en me promenant, je suis tombé sur un mec se baladant seul et étant nu et que la seule chose trouvant à dire était ce que j'étais. C'était assez cocasse quand même.

Il est vrai que ton introduction manquait un peu de finesse et de délicatesse, mais un lendemain de pleine lune, en terre lycane tu comptais pas tourner autour du pot et ce type étrange non plus d'ailleurs, si il voulait repartir en un seul morceau. Enfin ça c'était tes pensées avant qu'il ne finisse par se présenter, se redressant sur ses jambes il te dépasser largement d'une tête, peut-être deux et sa carrure était bien plus imposante que ne le laissait supposer sa posture assise. Un sourire s'était même dessiné sur ses lèvres ce qui te rendais de plus en plus perplexe sur ce que pouvait bien être ce type à la corne violette cheloue.

Dra quoi ?.
T'as du mal entendre alors que tes yeux s'écarquillent et que ton coeur rate un battement sous la surprise de l'annonce.
Dragon.
Non t'as bien entendu. Dragon. Ça sent donc comme ça un dragon ? Puis tu percutes alors que la surprise passe, du sang ? Ta main vient passer sur tes lèvres avec douceur, alors que le sang séché s'y dépose dans un frottement. Ah oui en effet, t'avais presque oublié ce que tu faisais au moment de reprendre conscience de ton humanité. Une voix pleine de nonchalance alors que tu réponds comme si c'était la chose la plus normale du monde.

" Ah oui... J'étais en train de manger quand je suis revenu à moi."

Un silence alors que tu l'observes longuement de tes iris de topaze alors que tu analyses la situation, la compagnie d'un dragon, tout de suite, maintenant, en cas de problème, ça pouvait être utile, très utile. Un sourire que tu lui adresses avec chaleur avant de poursuivre.

" Moi c'est Kalak, je serai enchanté de discuter plus longuement avec vous, mais je pense que quitter les terres des lycans est la chose la plus importante maintenant. Je n'appartiens pas à leur meute et s'il nous trouve ici un lendemain de pleine lune ça risque de très vite dégénéré. Et puis pour répondre à la seconde partie de votre question, faut que je retrouve mes vêtements que j'ai laissé aux frontières des terres centrales à l'approche de la pleine lune."

Simple, claire, naturelle, t'étais plutôt satisfait de ton approche. Un sourire que tu lui jettes à nouveau, charmeur et malicieux cette fois.

" Suivez-moi messire Dragon."

Et sur ces mots tu te détournes alors que retentissent les premiers craquements, que ton corps se projette en avant dans la douleur, alors l'humanité se disloque dans une série de bruits glauques, une scène que peut d'étrangers à ta race avait eu un jour la chance, ou la malchance d'apercevoir de leur vivant, alors qu'en quelques minutes, la peau s'efface pour le pelage noir du jaguar. Un regard que tu lui jettes de tes yeux félins remplis de cette intelligence vive malgré leur beauté sauvage avant de te mettre souplement en mouvement vers la sortie de la jungle et plus largement du territoire des lycans.